Le froid en fête au Québec
Moins trente-cinq degrés Celsius ! Voilà la température qu’affrontent les habitants de Montréal au cours d’une saison hivernale qui peut durer cinq mois, et fait partie de la vie des Québécois qui savent en tirer parti jusqu’à l’apparition des premières libellules.
À Montréal, les initiatives privées se sont multipliées depuis les années soixante avec pour but de transformer le froid et la neige en une irrésistible occasion de trouver son confort et faire la fête.
À Montréal, le Reso est un dédale sous-terrain signalé par des bornes à plusieurs endroits de la ville.
Les Montréalais s’y engouffrent pour aller de leur domicile à leur lieu de travail sans avoir besoin d’affronter les grands froids. Le métro est complice, dont plusieurs issues aboutissent aux couloirs du Reso pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail en bras de chemise. La neige est amplement exploitée sur le Mont Royal (hauts de Montréal). Elle offre aux citadins toute une palette de loisirs de glisse, comme la promenade en raquettes ou même le ski de piste.
Techno-neige
Pour les Montréalais, faire la fête en hiver relève de la provocation face aux rigueurs du climat. Un événement qui dépasse notre imagination d’Européen est l’Igloofest, l’une des fêtes les plus branchées du Canada. Depuis sept ans, cette manifestation attire les amateurs de musique électronique de toute l’Amérique du Nord et même de l’Amérique latine, qui se donnent rendez-vous dans la zone du Vieux-Port de Montréal. Tout ou presque se passe dehors, tant il est plus insolite de danser à la belle étoile au milieu de décors de glace et dans une musique diffusée par les meilleurs DJs de la place. On pèle de froid ? Non, les glorieux danseurs s’agitent en rythme, emmitouflés dans leurs doudounes, leurs bonnets sur la tête et des moufles aux mains. Les tenues d’hiver les plus kitsch reçoivent même des récompenses ! Les pauses ont lieu autour d’un brasero ou bien en jouant avec un bowling de glace ou autres jeux de société adaptés. L’Igloofest se déroule de 18h30 à minuit, mais les technomaniaques ne s’en tiennent pas là. Les foules de l’Igloofest vont ensuite se déverser dans les nombreux boîtes et bars de Montréal pour prolonger la fête jusqu’au petit matin. Sachez que l’Igloofest se répartit sur 12 soirées si glaciales, mais si chaudes, de mi-janvier à mi-février.
Un train dans le blizzard
Le parcours par le Via rail Canada entre la gare de la Gauchette à Montréal jusqu’à celle de Québec-City laisse un sentiment cosy entre le confort d’un compartiment bien chauffé et le service d’un brunch très british avec œufs, bacon, saucisses grillées, etc., sans oublier la marmelade, tout en observant le spectacle fascinant des plaines enneigées. Le trajet est ponctué de traversées de cours d’eau charriant de grosses plaques de glace.
Un carnaval très bonhomme
Si la première manifestation d’une fête d’hiver eut lieu à Québec en 1894, c’est véritablement en 1955 qu’elle fut établie d’une manière structurée avec, notamment l’apparition du « bonhomme Carnaval » un personnage qui a la vie dure. « C’est mon tchem » (mon béguin), déclarent les jeunes Québécoises. On le voit partout en effigie sur des porte-clés, en statue, sur des portiques, projeté sur les murs et… en chair et en os. Ce bonhomme de neige personnifié ne quitte jamais son grand sourire.
De notre côté de l’Atlantique, nous connaissons bien mal le carnaval de Québec, car il est estompé par ceux de Rio, de Nice ou de Venise. Et pourtant, il est le plus grand carnaval d’hiver au monde.
Pour conjurer le froid ambiant, 50 baigneurs prennent un bain de neige chaque année pour démarrer le carnaval dans la bonne humeur. À Québec, le carnaval qui dure 17 jours de festivités, prend d’abord ses quartiers sur les Plaines d’Abraham, là même où se déroulèrent les sanglantes batailles qui opposèrent les troupes britanniques à celle du marquis Louis-Joseph de Montcalm, lieutenant-général des armées de la Nouvelle France.
Cet espace est un lieu idéal pour y aménager autour d’un château fait de 6000 blocs de glace tout un programme d’activités des plus insolites, à commencer par un parcours de « glisse à la tire » (glissade sur des chambres à air de camions), un babyfoot humain géant où les joueurs sont attachés à de grandes tiges et n’ont que leurs pieds pour taper dans une balle de mousse. Plus spectaculaire encore est de voir à l’œuvre les participants à un concours de sculpture sur neige, membres d’équipes venues de tous les coins du monde et maniant avec dextérité la pelle et la scie pour faire sortir d’un grand plot de neige tassée des figurines fantasmagoriques ou caricaturales.
Prouesses canotiques : La tradition du canoë canadien est celle qui a inspiré la compétition la plus spectaculaire du carnaval de Québec. La course de canot sur le fleuve Saint-Laurent est un véritable exploit sportif. En période de carnaval, seul un filet d’eau au centre du Saint-Laurent échappe aux plaques de glace que charrie le Saint-Laurent, les deux rives opposées étant gelées sur plusieurs centaines de mètres. Sur une terrasse du port de Québec est aménagé un poste de commandement d’où la radio locale harangue par haut-parleurs les participants. Le début du parcours est peut-être l’exploit le plus sportif de la compétition, car il implique de faire glisser le canot sur un gigantesque cahot de blocs de glace. Sur un parcours déterminé, on fait glisser, on soulève, voire on porte à bout de bras l’embarcation jusqu’à atteindre l’élément liquide pour, ensuite, revenir, de l’autre côté du fleuve, jusqu’à une balise qui, une fois atteinte, devra être immédiatement quittée pour aller jusqu’à la balise suivante, etc. L’épreuve est physiquement épuisante et, comme bien souvent en matière de sport, ce sont les mieux entraînés et les plus endurants qui gagnent.
Dormez glacé La construction d’un hôtel de glace demande l’investissement de 50 personnes qui vont travailler pendant six semaines d’arrache-pied pour créer des œuvres d’art en soufflant de la neige sur des moules de métal en forme de voutes. Les chambres sont souvent décorées sur des thèmes précis avec une décoration de sculptures sur glace. Au bar, on sert des cocktails dans des verres de glace (au Bar de glace bien entendu). On peut même s’y marier dans la chapelle de glace prévue à cet effet. En apothéose, une « cabane à sucre » a été aménagée pour les célèbres agapes québécoises faites de sucre d’érable fondu et gelé ensuite dans la neige.
Habillage de lumière Le « mapping architectural » vous connaissez ? C’est une mode récente qui consiste à habiller un bâtiment d’une projection vidéo (environ 20 minutes de spectacle son et lumière toutes les heures et demies en soirée). Au carnaval de Québec, cette initiative porte le nom de Lumocité. En 2013, quatre entreprises venues de Los Angeles, du Canada, de la Hongrie et, mais oui, de Genève, ont été sélectionnées pour assurer ce travail artistique et animer les édifices historiques du palais Montcalm, de la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec, du Morrin Centre et des fortifications de Parcs Canada. |
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Gérard Blanc