Micheline XM - 5005 EST - 1936

Micheline Caravelle X4630 (l'X4681)
en Gare de Grenoble - 1981

Micheline à Fianarantsoa

Un train de légende : la Micheline

 

Quelle date donner à l’invention de la Micheline ? C’est en 1929 qu’André Michelin dépose un brevet avec pour objet l’application aux véhicules sur rails d’un bandage pneumatique. Des essais sont menés au début de l’année 1931, mais il faudra attendre septembre pour que Marcel, le fils d’André, décide de présenter officiellement l’invention de son père : le pneu-rail creux, capable de rouler, comme son nom l’indique, sur des rails de chemin de fer, de franchir des aiguillages, et de résister plus tard à des charges importantes grâce à des techniques empruntées à l’aviation. Il invite à la gare Saint-Lazare de nombreux officiels, le directeur du réseau de l’Etat, des industriels dont le constructeur automobile André Citroën, ainsi que la presse parisienne. La… Micheline, nom donné tout légitimement au véhicule de démonstration équipé de ce pneu, relie ce jour-là Paris et Deauville en très exactement 2h14, à la vitesse de 107km/h, mais avec des pointes atteignant les 130. Incroyable pour l’époque.

Prototype Micheline type 5, 1931

Ce train pas comme les autres, dans la version qu’on lui connait aujourd’hui, ne paie à priori pas de mine. Autotracté, il est totalement autonome et bouleverse la conception classique d’un train composé d’une locomotive et d’une file de compartiments reliés les uns aux autres. Son aspect général hésite entre ceux d’un vieil autobus et d’une ambulance dont l’esthétique est le dernier des soucis. Mais dans l’euphorie des performances techniques nouvelles, les concepteurs et leurs héritiers n’ont peut-être jamais pensé à lui apporter ce petit quelque chose qui séduit, et qu’on appelle la beauté des lignes. L’essentiel, c’était le pas de géant apporté au confort des voyageurs. Plus qu’une évolution, une véritable révolution…

À partir du prototype qui réalisa ce Paris-Deauville historique, plusieurs variantes ont été mises au point selon les spécificités des différentes lignes. Le type 11 par exemple était composé d’un tracteur à trois essieux et d’une semi-remorque. D’une capacité de 24 places, il ne fut construit qu’en une dizaine d’exemplaires et fut retiré de la circulation en 1939. Le type 16 de 36 places assises était doté d’un poste de conduite surélevé au-dessus du toit. La forte adhérence du pneu permettait des accélérations et des freinages qui le prédisposaient aux services à arrêts fréquents. Lancé à 90km/h, il pouvait s’arrêter en une quarantaine de mètres !  Avec les types 20 à 22 construits à partir de 1934, la capacité passa à 56 places, ce qui augmenta d’autant l’intérêt porté par les services publics. 52 exemplaires furent mis en service entre 1934 et 1937. Le type 23 né en 1936 était constitué d’une caisse unique de 30m de long, équipée pour 96 places dont 16 strapontins, et pouvant atteindre la vitesse maximale de 135 km/h. La Micheline « malgache » pour sa part est du type 51. Le premier exemplaire débarqua au port de Toamasina le 7 décembre 1932, et étrenna ses services commerciaux une année après.

Grâce à six autres commandes, Madagascar disposait en 1952 d’un total appréciable de sept Micheline. Elles étaient spécialement adaptées à l’écartement réduit des voies malgaches, ce qui limitait d’autant leurs performances autorisées en matière de vitesse. Les trois premières étaient équipées de moteurs à essence, le reste passant pour raison d’économie au diesel, d’autant plus que la consommation de pneumatiques pesait lourdement dans le calcul du prix de revient au kilomètre. Ce problème de roues ne sera partiellement résolu qu’à la fin des années 80, par un approvisionnement fait désormais en Inde. Les trois premières unités sortirent prématurément du circuit, tandis que les quatre autres commençaient à se spécialiser dans le transport de groupes de touristes dès les années 60.  L’une d’entre elles signa son dernier voyage en 1989 avec à son bord un illustre hôte en la personne du Président de la Banque Mondiale. Une autre était rachetée par Michelin en 1995 pour figurer dans la collection du musée créé par la Société à Clermont-Ferrand. Les deux restantes, uniques au monde, sont de ce fait de véritables patrimoines qui portent toutes les deux des noms d’oiseaux endémiques de Madagascar : Tsikirity qui a choisi de s’appeler désormais Fandrasa, et Viko-Viko.

Fandrasa est basée à Fianarantsoa où elle se destine à de très courts trajets de20 km entre cette ville et la plantation de thé de Sahambavy, en attendant des jours meilleurs où elle pourra de nouveau se lancer sur le Fianarantsoa-Côte Est : une ligne compliquée à grand spectacle, longue seulement de 163 km mais avec certains tronçons encore plus raides que dans la Cordillère des Andes.

Viko-Viko pour sa part se trouve dans les locaux techniques de la Société Madarail, concessionnaire du réseau Nord où on la voyait sur deux itinéraires principaux : l’Antananarivo-Antsirabe (un trajet de 4h 30 via Behenjy et Ambatolampy), et l’Antananarivo-Andasibe (un trajet de  4 h via les spectaculaires falaises de la Mandraka et la ville de Moramanga). Réhabilitée en 2008, Viko-Viko s’est définie comme vocation la location privative à l’intention des voyages touristiques de groupe, des besoins professionnels des Sociétés, et même des grands évènements familiaux. L’activité est quelque peu en veilleuse actuellement, mais les années fastes sont dans toutes les mémoires, prêtes à ressurgir : la Micheline de 19 places, avec ses confortables sièges en osier et son coin-bar, « poussait » alors jusqu’à Ambila Lemaitso, pendant longtemps la plage la plus proche de la capitale, Akanin’ny Nofy perdu dans son écrin de verdure, et même le Grand Port de l’Est accessible en 10 heures.

À l’heure des Trains à Grande Vitesse, les rescapés malgaches de la fantastique aventure technologique des Michelin père et fils perpétuent la mémoire d’un autre type de voyage personnalisé, qui savait donner du temps au temps. Devenues de véritables légendes, elles s’aligneront un jour de nouveau le long du quai des départs à la demande des vrais connaisseurs. Car c’est bien connu, les légendes sont immortelles…