EN SUEDE

Pour notre dernier circuit de l’année, que nous propose l’Agence de voyages NORD ESPACES, nous présentons le très intéressant témoignage de  Jean-Marie Pujo,  sur l’eau et en été !

Ce n’est pas la première fois que nous évoquons la Suède dans notre site. Déjà, nous avions descendu la rivière Klarälven  en radeau, dans le « Grand Dossier FORETS » (chapitre 4/tourisme).

 

 

Le merveilleux voyage du Trolhatten - Göta kanal

Une exceptionnelle croisière « vintage »


Chapitre 1 : Où l’on fait la connaissance d’un vénérable « steamer » blanc et de son équipage


Le WILHELM THAM, sur lequel nous allons embarquer est sagement accosté au quai de la rive gauche du fleuve Göta älv qui traverse Göteborg.  Agé de 103 ans (1), c’est dans l’ordre d’ancienneté, le second navire de la Göta Canal Steamship Company, elle aussi vénérable, puisque fondée le 27 février 1869.  Ce petit « steamer » blanc, qui bat pavillon suédois, a été spécialement construit pour s’adapter aux écluses qu’il va franchir tout au long de son périple. Il jauge 268 tonnes, est long de 31,53 m, large de 6,73 m et son tirant d’eau est modeste : 2,72 m. Cela ne l’empêchera pourtant pas de « caresser » parfois le fond, un évènement pris en compte par l’armateur, qui s’abstient de peindre le dessous de sa carène !

Comme tous les navires en service, le WILHELM THAM est immatriculé à l’IMO (2)  (numéro 5389671) et au MMSI (3) (numéro 65576700), avec l’indicatif radio SHIG. Il dispose de moyens de navigation bien de notre époque, comme un radar et un ensemble GPS/ECDIS. Par contre, il n’ a pas  de sondeur et quand on s’en étonne, la réponse ressemble à celle évoquée pour la peinture  plus haut : la « base » (antenne) de cet appareil qui forme une saillie sous la coque, ne résisterait pas à un frottement avec le fond…Une autre caractéristique significative du navire est que ses flancs sont largement bardés par des « défenses » de bois : elles sont nécessaires pour le protéger des frottements parfois énergiques avec la paroi des écluses et plus solides et moins chères que leurs homologues actuelles en PVC.

Le WILHELM THAM d’aujourd’hui, n’est bien sûr plus tout à fait celui des origines : il a été reconstruit presque totalement en 1914, puis refondu en 1961 (4) et en 1965 sa machine à vapeur a été remplacée par 2 moteurs Diesels Volvo (460CV au total). Équipé d’une hélice à pas variable qui lui procure une bonne manœuvrabilité, c’est un navire « tranquille » dont la vitesse maximum est de l’ordre de 9 nœuds (16 km/h).  Réaménagé en 2001, il offre 25 cabines (5) à 2 couchettes réparties sur 3 ponts (6 sur le pont supérieur, 6 sur le pont promenade et 13 sur le pont principal, dont 2 dotées d’une couchette double) et peut donc accueillir 50 passagers. Toutes les cabines et la salle à manger ont connu une nouvelle cure de jouvence en 2003-2004. Noter que compte tenu de leurs dimensions, aucune cabine n’est dotée en propre d’une douche ou WC. Leur usage doit être partagé avec d’autres passagers, comme à l’époque historique. Sans doute leur nombre, leur présence sur tous les ponts et leur parfaite  propreté méticuleusement entretenue, expliquent que je n’ai, pendant mon séjour, entendu aucune critique ou même remarque à ce sujet.

Il faut souligner que tout est en excellent état à bord de ce bateau et le soin avec lequel l’armateur s’attache à le préserver et entretenir en y conservant un maximum d’aménagements et d’accessoires « d’époque », l’a fait classer en 2004 « navire du patrimoine », par le Musée maritime national Suédois.

L’équipage du WILHELM THAM est de 11 personnes : un Capitaine et son premier Lieutenant assurent la conduite du navire, 1 hôtesse veille attentivement au confort des passagers et à  renseigner sur les particularités du voyage (notamment en annonçant sur le circuit de diffusion générale du navire, les curiosités ou évènements susceptibles d’intéresser les passagers), 4 matelots de pont (2 hommes et 2 femmes) s’affairent  lors des départs et arrivées à quai et pendant le passage des écluses, 2 personnes (1 homme et 1 femme) assurent le service de la salle à manger et 2 cuisiniers (1 homme et une femme) s’occupent de la préparation des repas. Ces derniers mis à part, on aura l’occasion de rencontrer maintes fois tous les autres et d’apprécier leur professionnalisme comme leur amabilité.


Chapitre 2 : Où l’on s’installe dans l’univers raffiné d’un « luxe maritime » à l’ancienne


Notre embarquement a été fixé à 8 heures du matin et ce rendez-vous, qui s’inscrit dans la séquence d’appareillage, doit être strictement respecté. Au pied de la coupée, nous attend une petite haie d'honneur composée du Commandant et de son second, de deux membres de l’équipage et de l’hôtesse du navire, qui accueille chaleureusement les passagers. Ils ont déroulé pour nous le tapis rouge ! C’est là que nous découvrirons le numéro de notre cabine dont nous irons prendre possession aussitôt.

La 11 m’a été attribuée et comme ses homologues, elle ressemble à un diminutif de compartiment « sleeping » d’un wagon de chemin de fer, dans une version train de luxe  à deux couchettes, mêlant harmonieusement des parois beiges et grises, de belles draperies  dans des tons assortis et l’acajou de deux petits meubles : un mini placard doté d’un miroir et une sorte de guéridon qui combine astucieusement lavabo (eau chaude et froide) et mini-bureau. Comme sur la plupart des bateaux de croisière du siècle dernier, la couchette supérieure est rabattable le jour et celle du bas peut être transformée en sofa, éventualité sans objet en l’occurrence, car de multiples lieux bien plus attrayants existent à bord : on ne se séjournera dans sa cabine que pour y dormir. Deux autres touches confirment l’ambiance « bateau » : une lampe de cuivre, qui assure l’éclairage général de la cabine et un petit hublot par lequel entre le jour et qui permet si on le souhaite un complément d’aération. Les cabines des ponts promenade et supérieur s’ouvrent sur l’extérieur par une porte. Signalons qu’il n’est nulle part possible de « caser » une valise dans cet espace mesuré : on les stocke dans des locaux voisins où elles restent facilement accessibles pour leurs propriétaires.  Nous sommes 30 passagers « internationaux » pour cette croisière : 8 Suédois, 8 Allemands, 6 Anglais, 5 Suisses, 2 Danois et 1 Français, espèce rare sur ce navire où on ne parle pas notre langue et qui sera rattaché au British club pour l’occasion. Stage d’Anglais intensif assuré !

 

Reconnaissance de la cabine effectuée, passage par la salle à manger où nous attend une collation généreuse. Après, ce sera l’heure des « briefings » et il y en aura trois successifs, respectivement destinés aux passagers qui parlent le suédois, l’allemand et l’anglais ; le français ne figure malheureusement pas au programme…

Une légère vibration se fait maintenant sentir, signe que nous avons quitté le quai. Rassemblés « par langue » dans le salon avant, nous écoutons le Commandant et l’hôtesse nous donner les consignes de sécurité, puis nous présenter en détail le programme de la « traversée ». On nous indiquera aussi gentiment quelques règles en vigueur à bord. Parmi elles, la confirmation de l’absence volontaire sur le bateau de tout récepteur de TV, liaison internet et même journal, le souhait (qui sera respecté par tous) d’y voir le moins possible d’iPhones et iPads et la suggestion d’un « dress code » : sportif et confortable dans la journée, un peu plus raffiné pour le dîner du soir. La recommandation a du sens dans le contexte : nappe blanche, argenterie et serveurs en tenue, s’accordent mal avec le bermuda-tee shirt et hélas, tout le monde ne le « sent » pas d’emblée.

Les repas sont organisés selon une approche « nordique » : abondant breakfast le matin, collation plus légère à midi, « fika » dans l’après-midi et dîner classique à 3 plats en soirée. La cuisine d’inspiration suédoise est raffinée et très agréablement présentée, certaines assiettes sont de vraies petites œuvres d’art…succulent de surcroît.

 

Chapitre 3 : Où l’on va glisser entre deux mers, sur 1 rivière, 3 canaux, 8 lacs et franchir 65 écluses.


Le WILHELM THAM est maintenant en route et chacun y reprend sa « liberté de manœuvre », comme on dit chez les marins. Les uns gagnent sur la plage avant, leur « poste de contemplation », les autres vont s’installer dans les grands fauteuils d’osier alignés sur l’arrière du pont supérieur ou dans le confortable salon du pont promenade, avec ses sofas moelleux et sa bibliothèque d’acajou. Certains entreprennent même de visiter le navire… sa passerelle en premier lieu, pour bavarder un peu avec le responsable de quart et puis un petit tour dans les machines, pour en constate l’état impeccable et découvrir une originale transmission par courroies. C’est un vrai privilège si l’on se réfère aux usages des actuels bateaux de croisière.

Nous commençons la remontée du fleuve Göta älv, mettant notre étrave dans le sillage des Vikings qui l’ont emprunté dès 1060, mais à leur différence, nous devrons attendre quelque temps avant que le grand pont de chemin de fer qui barre le passage, veuille bien pivoter pour nous laisser continuer notre route. C’est l’heure du déjeuner et le moment où nous croisons DIANA, le jeune frère de notre bateau, en route inverse vers Göteborg.

 

La première écluse de notre parcours ne va pas tarder à apparaitre, c’est Lilla Edet franchie en douceur et en quelques minutes. Elle ne laissera à personne un grand souvenir. Un peu plus de deux heures plus tard, les choses vont changer : nous arrivons au pied du premier « escalier » significatif du voyage, celui des 4 écluses de Trollättän qui vont nous faire gravir étonnamment vite et avec une non moins étonnante fluidité, un dénivelé de 30 mètres. Tout le monde est sur le pont pour assister au franchissement de l’obstacle, après lequel nous accosterons sur le bord d’un agréable bassin, histoire de mettre pied à terre et d’aller visiter le musée du canal. On y apprendra qu’il est capable d’accueillir des bateaux marchands jusqu’à 87 m de long et 12 m de large, qui y passent encore aujourd’hui pour assurer certains transports industriels.

Après la visite, on reprend la route, quasiment au sens propre du terme car c’est un large canal le plus souvent rectiligne, dont les multiples ponts qui l’enjambent s’ouvrent, se soulèvent ou se tournent pour nous laisser passer. Encore une écluse (Brinkebergskulle) et l’on débouche dans le lac Vänen, 3ème plus grand lac d’Europe après les russes Onega et Ladoga.  Une surprise, la présence inattendue au mouillage du grand trois mâts suédois Göteborg, dont la mature est malheureusement « calée » bas, pour lui permettre de passer sous les ponts. Nous sommes presque « comme en mer » et pouvons admirer un splendide coucher de soleil, digne de ceux que l’on voit sous les tropiques. Notre vaisseau s’ébroue gentiment tandis le ciel commence à se couvrir. Ce sera dans la grisaille que nous accosterons vers 23h30, le ponton de bois installé au pied de l’impressionnant château-fort de Läckö.

 

Le lendemain, la découverte des arcanes de cette forteresse médiévale, transformée en résidence au XVIIème siècle, occupera une partie de la matinée, sans empêcher ceux qui le souhaitent d’aller ensuite se dégourdir les jambes dans la nature et admirer de haut notre domicile flottant. Nous repartirons de Läkö  juste avant le déjeuner par grand soleil et belle brise, qui soulève quelques moutons sur le lac. Encore 4 heures de route et nous voici à Sjötorp, entrée ouest du Göta kanal et première de ses 58 écluses. Il fait très beau et bon, malgré le vent. Notre passage suscite un grand intérêt chez les vacanciers qui se pressent sur les bords du canal et nous soumettent à un incessant « mitraillage » photographique. Le WILHELM THAM, doit prendre là quelques vivres et de l’eau. Une occasion rêvée pour aller marcher un peu sur les berges en donnant rendez-vous au navire quelques écluses plus haut, une occasion aussi de le photographier « en route », exercice évidemment impossible lorsque l’on est à bord ! Au retour, le « fika » qui nous attend dans la salle à manger sera d’autant plus apprécié.

Bien vite, nous allons traverser notre 4ème  lac, le petit Boren et y apercevrons le JUNO, en escale tout près de l’écluse de Borensberg, par laquelle se poursuit notre voyage.

La fin de cette journée sera animée : deux heures plus tard il faudra passer 4 nouvelles  écluses à Hajstorp et l’on rencontrera aussi le grand pont ferroviaire de la ligne Stockholm- Göteborg, où il faudra attendre, bien sûr, que passe le train, avant de pouvoir continuer notre route ! Le canal retrouve ensuite la forêt et c’est au milieu des arbres de Vassbacken que l’on s’amarrera vers 22 heures, afin d’y passer la nuit.

Réveil à 6 heures le lendemain pour ceux qui veulent assister à l’appareillage et apercevoir le petit obélisque qui, à 91,5 m au-dessus du niveau de la mer, marque le sommet de notre parcours. La lumière matinale est magnifique, le calme à peine troublé par le bruit de l’eau qui s’écoule le long du bord. Il faut dire qu’ici, le canal semble peu profond et que le bateau y « pousse » devant lui une sorte de petit mascaret, dont le flot revient à toute vitesse reprendre sa place sur son arrière. C’est à cet endroit que la voie d’eau initiale a été « rectifiée » par le creusement d’un nouveau bras moins « tordu ». Après l’écluse de Tätorp, l’une des deux qui sont encore manœuvrées à la main, le chenalage se poursuit à l’étroit jusqu’au splendide lac Viken, dont nous atteignons les eaux d’un bleu intense à 9h15. Son franchissement est délicat et la navigation est parfois assistée par d’originaux « murs de guidage », le long desquels progresse le bateau.

Une heure plus tard, le lac est dans notre sillage et nous retrouvons un canal forestier,  semblable à celui de l’épisode antérieur mais doté d’un agrément supplémentaire : celui des nénuphars qui pullulent dans tous les élargissements. Et voici encore une écluse : celle de Forsvik, la plus vieille du Göta Kanal (1818).


Surprise ! un petit groupe d’hommes nous y attend avec des bouquets de fleurs et entonne avec enthousiasme un hymne. Ils seront bientôt rejoints par quelques femmes qui se joignent au concert. Explication : il s’agit de la famille Kindbom, un petit groupe religieux qui salue ainsi fidèlement et depuis des années, le passage des 3 vétérans de la ligne. En échange des fleurs, les bateaux leur offrent un petit plateau de gourmandises, lui aussi devenu traditionnel.

Forsvik est la première marche de notre descente et un nouveau un canal tranquille lui succède, qui va nous mener jusqu’à notre 3ème lac : le lac Vättern, à 89 m au-dessus du niveau de la mer.  C’est l’heure de déjeuner et c’est à table que nous allons le traverser, pour arriver vers 13h30, à Motala, l’entrée de la partie Est du Göta kanal. La ville possède une belle marina, emplie de yachts de passage, un musée du moteur, bien connu semble-t-il en Suède, mais c’est surtout le berceau de l’industrie mécanique du pays avec le Motala Verkstad fondé au début du 19ème siècle et l’activité que lui a apportée pendant 22 ans la construction du canal. C’est aussi là que repose son constructeur Baltzar Von Platen et la Göta Canal Steamship Company y a toujours son siège social. Le temps reste splendide et pendant que certains vont au musée, il me parait plus tentant d’aller explorer le « front de lac », où l’on trouve une imposante « Platenhuset », peut-être ancien domicile du célèbre ingénieur, et une belle église.

 

Nouvel appareillage après cet intermède, et nous nous engageons dans une vaste courbe salués par la levée de 2 ponts routiers devant lesquels s’empilent les voitures. Vient maintenant un « passage des souvenirs » : Baltzar Von Platen avait demandé à être enterré à Motala et l’on aperçoit son tombeau sur la rive gauche. La tradition le fait saluer d’un coup de sifflet par tous les bateaux. Voici également les hangars du Motala Verkstad où sont nés le WILHELM THAM et son ainé le JUNO. C’est aujourd’hui une galerie d’art.
Et notre descente continue. A Borenshult, ce sont 5 marches que l’on va franchir d’une seule traite. On ne peut y passer sans évoquer le roman policier Roseanna, premier de la série écrite par les auteurs suédois Sjöwall et Wahlöö : il commence par la découverte d’un cadavre dans ces écluses. On se penche bien sûr sur la lisse, pour en scruter le fond, mais il n’y aura rien d’anormal aujourd’hui.

On va entrer ensuite dans notre 5ème grand lac, le lac Boren encore à 73 mètres au-dessus du niveau de la mer. On le quittera en milieu d’après-midi à Borensberg, seconde écluse du canal à être toujours manœuvrée à la main. Sur la berge, le Göta Hotel, bien connu en Suède et, sur le canal, « l’horreur du timonier » une courbe particulièrement délicate. Nous passerons aussi bientôt au-dessus de la route nationale 86, dont les voitures filent sous notre quille.

Ce tronçon de canal semble un peu envasé. En tout cas, de petits soubresauts réguliers et le système très particulier de vagues qui accompagne le navire, font soupçonner que nous en « raclons » un peu le fond, intuition qui se confirme quand on découvre un sillage boueux à l’arrière. Personne ne s’en émeut à bord, équipage comme passagers : c’est presque prévu au programme et ne durera pas longtemps !

Voici l’heure du dîner, précédé par un sympathique apéritif qui inclut la remise à chacun par le Capitaine, d’un certificat de passage. C’est cependant un peu frustrant, car nous allons aborder pendant le dîner le spectaculaire ensemble des 12 écluses de Berg (dont 7 consécutives), qui nous feront perdre, en deux fois, 40 mètres d’altitude (10 + 30) et nous conduiront jusqu’aux eaux d’un 6ème lac, celui de Roxen qui n’est plus qu’à 33 mètres au-dessus du niveau de la mer.  Nous le traverserons demain, car le WILHELM THAM s’amarre pour la nuit au pied de ces écluses, donnant l’occasion aux passagers d’aller se dégourdir les jambes en gravissant au crépuscule la pente des chemins de halage aménagés sur leurs côtés.

Et vient notre dernier « jour de mer ». Après une assez longue attente au pont-écluse de Norsholm, où l’on croise la grande ligne ferroviaire Stockholm-Malmö, car on attend bien évidemment qu’y passe le train, nous sommes récompensés par l’apparition éclair de deux express en séquence. Est-ce pour limiter nos regrets ? Le ciel commence à se couvrir et un petit crachin finira par faire son apparition. Dans ce contexte, nous remarquerons à peine que nous passons dans  un 7ème lac, l’Asplangen, à 27 m au-dessus du niveau de la mer, et prendrons notre dernier déjeuner à bord, particulièrement savoureux. Son menu s’orne d’une image de l’hôtel de ville de Stockholm, au lieu des affiches nautiques qui figuraient sur les précédents : un signe que la fin est proche. Et il est vrai qu’elle surviendra vite, via un canal élargi où notre vaisseau pourra accélérer, très raisonnablement bien sûr, car sur le chemin de halage les vélos continuent à nous dépasser sans peine.

Nous progressons maintenant au milieu de prairies, avec des chevaux et des vaches, cotoyons occasionnellement une route et ne trouvons plus beaucoup de pittoresque au franchissement des ultimes écluses (8 quand même), qui jalonnent ce dernier tronçon du parcours. Il crachine toujours lorsque les toits rouges de Söderköping apparaissent dans la grisaille. A bord, l’équipage a replacé les valises devant les portes des cabines et on échange adresses courriel et promesses d’envoi de photos.
A 13h30, comme le prévoyait le programme, nous accostons tribord à quai à l’entrée de la première écluse de Soderköping, que nous ne franchirons pas. Il va nous falloir maintenant quitter, non sans un peu de nostalgie, le WILHELM THAM et son équipage, qui ont si bien su nous faire vivre hors du temps pendant quelques jours.

 


Chapitre 4 : Où l’on va découvrir une longue épopée industrielle


Inauguré le 26 Septembre 1832, en présence du roi Charles IV de Suède et de sa famille, le Göta kanal forme avec le Trollhättän kanal, ce qu’on appelle le « ruban bleu de la Suède ». Il est long de 390 kilomètres et traverse tout le sud du pays, de Göteborg sur la côte occidentale, à Söderköping (Mem) sur la mer Baltique. Les objectifs de cette liaison, dont l’évêque Hans Brask avait suggéré la création dès 1525, étaient à la fois d’offrir un moyen de protection et une possibilité « d’évasion fiscale » : il s’agissait de mettre les navires suédois à l’abri des agressions Russes et des droits, jugés exorbitants, que percevaient les Danois sur tous les bateaux étrangers qui franchissaient l’Öresund.

Le Trollhättän kanal qui relie le Kattegat et le lac Vänern, suit d’abord le cours du fleuve Göta älv, utilisé par la navigation jusqu’à ses premiers rapides dès le 15ème siècle. Il a reçu sa première écluse à Lilla Idet en 1607,  puis été l’objet de multiples tentatives de prolongation, qui n’aboutirent qu’en 1800. Long de 82 km, il comporte 6 écluses et fait franchir un dénivelé de 44 m. Le Göta Kanal, pour sa part est long de 190,5 Km et comporte 2 tronçons de part et d’autre du lac Vâttern. Il compte 58 écluses et fait franchir un dénivelé de 91,7 m. Sa construction résulte des efforts de Baltzar von Platen, Officier de Marine et ministre suédois, qui parvint à persuader au début de 1810, le roi Charles XIII de l’autoriser à fonder une société pour le creuser et l’exploiter. Le chantier débuta à Motala en Mai 1810 et essaima rapidement sur quelque 15 sites, répartis le long du tracé qui avait été retenu. Sa réussite va être essentiellement due aux efforts de 58 000 soldats, venus de de 15 régiments différents, que vont renforcer une compagnie de prisonniers Russes et des ouvriers civils. Une partie des 87 km d’excavations, a été réalisée à la main avec des pelles ! L’inauguration eut lieu en grande pompe à  Mem, sur la mer Baltique.  Mais Baltzar von Platen décédé 3 ans auparavant, ne put avoir la joie d’y participer et de voir réalisé son rêve.

Les 2 canaux ont été jusqu’au début du 20ème  siècle en Suède, une liaison-clé pour le  transport de marchandises et de passagers à travers le Sud du pays. En 1906, 1 600 vapeurs, 1 736 navires à voiles et 2 092 chalands, les ont empruntés. Le Göta kanal n’a cependant jamais eu l’importance économique que lui attribuait von Platen. Et l’apparition du chemin de fer et du transport routier l’ont vite condamné. Il a eu toutefois la chance d’être conservé en bon état, ce qui lui a permis de devenir l’un des plus populaires sites touristiques de Suède. Il voit actuellement passer quelque 5 000 plaisanciers par an (Suédois, Danois, Norvégiens, mais aussi Allemands, Anglais ou des pays Baltes) et pas moins de 15 bateaux d’excursion ou croisière y opèrent. Deux millions de personnes, viennent également séjourner sur ses bords.


Epilogue : Où l’on effectue un brutal retour dans le XXI ème siècle


C’est maintenant le moment de partir ! La petite haie d’honneur s’est reconstituée pour saluer notre départ et a de nouveau déroulé son tapis rouge, mais ils n’ont plus le charme qu’ils avaient pour nous accueillir il y a 4 jours (on a d’ailleurs, l’impression que c’était il y a beaucoup plus longtemps). Le crachin qui est toujours présent contribue aussi à limiter l’enthousiasme. Il nous faut brutalement revenir sur terre (beaucoup le ressentent d’ailleurs dans les 2 sens du terme) car se retrouver dans un car roulant vers Stockholm, sous une pluie battante n’a vraiment rien d’affriolant. En vérité, il me faudra quelques jours pour revenir complètement de cette croisière, qui offre l’exceptionnelle occasion de vivre à bord d’un monument historique et de s’y couper totalement de l’agitation et des excès du monde d’aujourd’hui. On trouve sur le Göta kanal un luxe suprême : celui d’avoir et de prendre le temps de vivre, de pouvoir se dépouiller sans aucune peine et même avec bonheur, de la plupart des accessoires que nous jugeons à tort « indispensables » à notre vie quotidienne, de communiquer avec ses semblables autrement que par SMS ou courriel, de lire un « vrai » livre , et de savourer avec délice, le cocktail probablement unique que forment une ambiance de croisière incontestablement « maritime » et une navigation paisible qui ne s’effectue que sur  l’eau douce d’un fleuve, de canaux et de lacs.   

 

Jean Marie PUJO

 

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